
9 mai
On dirait qu’il pleut là-bas… Mon pédalier craque… Je n’ai pas froid… L’accotement est trop étroit… Ma main droite est encore engourdie… J’ai dû faire 35 kilomètres déjà… J’espère qu’ils ont attaché leur chien… Le vent vient du nord je pense…
C’est à peu près ça, dans ma tête, quand je roule. Pas de grande intuition, pas d’Eurêka! ni d’histoire géniale qui s’organise. Rien de la vision romantique du voyageur solitaire qui, par monts et par vaux, cultive une sagesse inspirée. Non. De simples pensées de premier niveau. Des pensées en unités de base, un peu laissées à elles-mêmes, sans attache, bondissant dans mon crâne comme des boules de flipper. Des pensées collées à l’action, aux sensations immédiates, prisonnières de la frénésie de mon effort. Des pensées sans possibilité de lien, de forme ou d’idée. Des pensées à vif, sans enrobage, sans masque, sans protection. Des pensées nues. Seules. Apeurées.
* * *
Ma mère est confinée dans son logement depuis deux mois. Elle peut maintenant aller marcher sans supervision. C’est tout. Elle a vu mon père l’autre jour sur Facetime. Ils ont pu parler 30 minutes J’étais là, avec lui; on était ensemble. Un autre jour, la connexion ne s’est pas faite du tout. Quand elle sort marcher, ma mère doit porter un masque et elle déteste ça. Ma mère est vive, pleine d’acuité, capable d’une empathie rare, mais aussi de révolte. Elle peut être cinglante et dure. Elle sait s’excuser et comprendre. Ma mère a toute une personnalité. Une personnalité complexe, contradictoire, mais belle comme une œuvre profonde et inspirée. Ma mère peint, à l’huile et à l’aquarelle, des paysages très beaux. Elle écrit ses souvenirs avec un style unique et vrai. C’est toujours beau et émouvant. Ma mère est une artiste. C’est elle qui chante pour les autres sur son balcon pendant le Grand Confinement.
Pour la fête des mères, ici, une chanson de ma mère.
