
25 avril
À l’automne 2014, avant de prendre sa retraite, le vieux typographe a écrit une chronique à propos des paysages qu’il rencontrait à répétition dans ses rides de vélo. Il y disait la connaissance intime qu’il avait de son environnement si bien que parfois les choses pouvaient s’inverser. Il arrive aussi que se produise ce petit miracle: je traverse un paysage et c’est lui qui me reconnaît. Qui m’avale, me digère, me fait une place pour que j’en devienne un des éléments. Il avait ajouté des photos à son texte, ce qu’il ne faisait presque jamais. Il avait demandé à un photographe de La Presse de prendre des clichés de ses paysages pour illustrer, à sa manière, sensible et subtilement auto-dérisoire, ce sentiment de symbiose. Je suis la ligne jaune de la route, je suis le piquet croche de la clôture, je suis l’arbre, je suis la courbe sur la pancarte de signalisation, je suis la Holstein à l’écart du troupeau au fond du champ, je suis le silo, je suis le numéro 1064 sur la boîte aux lettres… Il disait plus loin que les plus beaux paysages sont les plus simples, les moins usés par le regard des touristes. Le plus beau paysage du monde ne peut pas être suspendu au-dessus d’un gouffre, je veux dire ne peut être spectaculaire en aucune façon. Il terminait avec cette douceur amère, cette suavité dans l’ironie dont je m’ennuie tant en parlant de Michel, le photographe, et des photos qu’il lui avait commandées. Il me disait: y a assez d’images dans tes textes, t’as pas besoin d’un photographe. Il me l’a redit cette fois aussi. J’ai insisté : c’est des photos pour moi, Michel. La Presse, c’est juste un prétexte, c’est des photos pour mettre dans ma chambre quand je vais mourir. Des photos pour mourir, tu ne peux pas me refuser ça.

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J’arrive de rouler dans le rang 3. C’était beau. J’ai pensé à mes parents, deux amoureux des paysages de la campagne. J’ai pensé à ma mère qui nous a toujours dit que la beauté se trouvait dans l’ordinaire. Pour elle, l’extraordinaire, le flamboyant ont toujours été suspects. Elle m’a inculqué cette valeur. C’est peut-être, au fond, une façon d’accepter son sort. Peut-être… Puis, j’ai pensé à mon père qui, avec une humilité si sincère qu’elle pouvait parfois l’écraser (et le garder captif de ses aspirations) , croyait davantage aux exceptions et cultivait un certain sens du solennel. Je me suis souvenu de son «discours» très formel du 31 décembre 1999. Il nous avait fait une sorte de bilan personnel et social du 20ème siècle. C’était précis, construit, éloquent. Ce qu’il nous avait souhaité, à la fin, pour le nouveau millénaire, c’était probablement une projection inconsciente de ce qu’il espérait profondément pour lui-même. Il nous avait souhaité de la douceur.

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Aujourd’hui, j’ai fini mon raclage, j’ai sorti les meubles de patio, ensuite j’ai parti ma piscine. J’ai dû gosser après la pompe qui était jamée pis je me suis gelé les mains en ploguant le tuyau de la balayeuse dans l’eau frette. Ç’a pas été facile, mais c’est faite! La chaleur peut enfin venir nous envelopper.
C’est une prière.
