Épisode 15: Jack Rabbit

24 janvier

Herman Smith-Johannsen, dit Jack Rabbit, est mort d’une pneumonie en 1987, en Norvège, pays où il est né. Il avait 111 ans. À 100 ans, veuf depuis un boutte et complètement autonome, il se prépare une soupe avec des gestes alertes et précis dans sa petite maison modeste des Laurentides. Le matin, il a chaussé ses skis de fond. Il a le corps droit, la glisse à peine altérée, la parole audible et sensée, l’oreille capable. En fin de journée, il serre des mains au banquet de clôture de la plus longue course de ski de fond au monde à laquelle, symboliquement, il a participé. Des enfants ébahis veulent des autographes. Un petit blond -ce pourrait être moi- lui montre son t-shirt sur lequel est dessiné un lapin en pleine course. Le vieux skieur lui parle et le fait rire. Jack Rabbit est une légende vivante.

J’écoute pour une énième fois le beau documentaire de l’ONF sur la vie de ce centenaire inspirant. Je retrouve ce grand pionnier et promoteur du ski de fond en Amérique du Nord, ami du peuple cri, aventurier dans l’âme. J’ai cette vision magnifiée d’une longévité possible et heureuse. Je suis bercé de nostalgie par la « voix ONF » de l’époque. Le film se passe au milieu des années 70. L’âge d’or du ski de fond, en plein cœur de mon enfance.

Je me souviens. Mon père nous avait équipé. Nous allions dans les pistes de la municipalité. Je découvrais la glisse, le thrill de la descente. J’entends nos discussions autour du bon choix de fart. Je vois les petits tubes colorés gommés de cire. Je vois mon père se préparer à partir seul en plein champ dans la neige folle. Je me souviens d’avoir pensé qu’il aimait la solitude.

À ma prochaine visite au CHSLD, je vais parler à mon père de ces souvenirs. Sa mémoire à long terme est bonne encore. Son contact avec la réalité est préservé dans les très vieux souvenirs. Nous sommes ensemble à travers le récit de nos enfances. Ce sont de précieux moments. Je suis chanceux.

Je ne sais pas si je vais lui parler de Jack Rabbit. Je ne sais pas si je vais lui raconter la scène de la soupe. Je ne sais pas si je vais lui dire que mon voyage à la Baie-James, c’est peut-être une sorte de prière que je fais, celle de vivre longtemps, heureux et en santé.