Épisode 10: Orgueil et pénitence

Dans la vie, mon p’tit gars, on souffre à la mesure de notre orgueil.

C’est l’un des nombreux et sages dictons de ma mère. Pour elle, plus l’orgueil est tenace, plus la souffrance est grande. Elle a pris ça où? Probablement un peu dans chaque aventure de sa vie de femme vive, profonde et parfois écorchée. Probablement beaucoup dans celle de son alcoolisme dompté.

L’idée innommable d’une non-réussite de mon expédition, malgré ma détermination encore jeune et vierge, me hante ces jours-ci. Un abandon n’est pas envisageable. À moins d’une fracture, d’un bris majeur ou de la rencontre mortelle du carcajou, je franchirai la distance!

Et j’entends la voix de ma mère. Cette voix si présente tout au long de mon enfance et de ma jeunesse, si omniprésente que mon père l’hallucine à chacune de mes visites. J’pense que c’est ta mère qui s’en vient dans le corridor! Non papa, elle est chez elle en ce moment. J’entends cette voix dans la douleur anticipée du cycliste entêté qui, malgré les crampes, les jambes en feu et le cul à vif, tient le coup, ne lâche pas, ne lâchera jamais… Je l’entends, ma mère: pôvre p’tit garçon, toute cette misère que tu te donnes, c’est juste de… Je le sais, de l’orgueil! Mais j’aime l’orgueil.

J’aime souffrir môman!!!

Parti comme ça, le chamane va me dire de passer mon tour. La thérapie, c’est supposé être pendant l’aventure, pas avant. Slaque, occupe-toi de tes affaires, un jour à la fois, simplicité mon garçon, simplicité… Encore la voix.

* * *

J’ai commencé à faire du rouleau. Modéré. Quatre-vingt-dix minutes. J’ai pas commencé les intervalles. Je repousse. Je repousse la souffrance. Je veux l’apprivoiser tranquillement, m’en approcher doucement, y toucher. Pis décider de me pitcher dedans comme dans le feu de la St-Jean.