Épisode 5: La chenille

29 décembre

Je fais du volume. Dix-sept kilomètres de marche aujourd’hui pour annuler le rhum and coke d’hier et bien me punir. Douce punition. Le soleil était blanc, bas, dans un ciel lui-même laiteux, suspendu au dessus des bois verglacés longeant la route. J’étais projeté par la musique et le paysage dans les hautes sphères d’une possible foi retrouvée, d’un Dieu-Nature me regardant et m’aimant. Le sport est une drogue.

Puis, de pas en pas, mes pensées se sont déposées doucement sur la route de la Baie James. Cette route, débutant à Matagami au km 0 et se terminant à Radisson au km 620, contient un bon paquet de mes appréhensions. Deux thèmes, donc, se sont imposés dans ma tête: l’eau et les mouches noires. Je suis allé au scénario le pire assez vite: la mort. Voici un résumé vite fait.

Navet 1: sans point d’eau sur 100 km en pleine canicule, il meurt à petit feu sur le bord de la route, son corps gonflé est mangé par un ours ou, mieux (ou pire), un carcajou.

Navet 2: assailli par les mouches noires, il est incapable de monter sa tente, il devient fou et se suicide par harakiri avec les piquets de la tente; vidé de son sang, son corps est dévoré par un carcajou (décidément).

Des petites gorgées sures de rhum and coke me sont remontées à la gorge… Puis j’ai pensé à notre conversation de la veille, mes sœurs et moi, à propos de notre père. On a parlé de son état. De sa souffrance. De la peine de notre mère. De la nôtre et de notre impuissance. On a ventilé. On a ri. On a pleuré. Ça nous a fait du bien.

À la fin de ma marche, j’ai vu sur l’asphalte glacée une chenille poilue tout recroquevillée. Je l’ai mise dans ma paume: elle s’est déroulée, s’est mise à avancer. Surprise: elle vivait!