Épisode 3: Mon père

27 décembre

Je rends visite à mon père au CHSLD de Nicolet. J’approche une chaise tout près de lui. Il me parle de sa voix basse et hésitante des complots, votes secrets ou autres maraudages qui se passent sur son étage. C’est confus. Une confusion indescriptible. Parfois, il se pense à l’Université, parfois dans les bureaux de l’UPA, parfois dans ceux de Solidarité Rural. Tout son cerveau détraqué se mobilise d’une manière exacerbée autour des stress et inquiétudes qu’il a connus dans sa vie professionnelle. Il ne relaxe jamais. Il me reconnaît encore.

Aujourd’hui est un bon jour. Il est plus lucide. Nous conversons. Je suis près de lui. Je le touche de plus en plus. Je lui prends la main. Je lui parle souvent des régions du Québec. Du territoire. Ses aptitudes géographiques et cartographiques sont encore présentes. Nous partageons cette passion pour le territoire. Nous avons fait des dizaines de tours d’auto ensemble. Je lui parle de mon idée de voyage à vélo à la Baie James. Je sais qu’il va l’oublier dès mon départ, qu’il ne pourra pas en parler à ma mère qui ne doit pas savoir, qui s’inquiéterait. Mon père relève sa tête affaissée et ouvre grand ses beaux yeux mouillés. Il sourit de sa bouche molle. Il me regarde droit dans les yeux. Il comprend l’éloignement. Je lui parle de la taïga. Des projets hydroélectriques. De Bourassa. De Chisasibi. Je lui montre la carte. Il situe. Il comprend. Il me pose des questions pertinentes. Il se souvient du temps où j’étais cycliste.

Il approuve.

Quand je le quitte, il n’accepte pas de rester assis. Il se lève péniblement pour me serrer la main, comme il a toujours fait. Depuis cette année, je l’avertis, je lui dis : on va se prendre dans nos bras papa. Je le sens tout petit dans mes bras, tremblant. Je sens ses bras frêles sur mon dos.

Je replace ma chaise à sa place. Je l’aide à se rasseoir et m’éloigne jusqu’à la porte, le laisse là, assis, seul.