Chronique du 10 novembre: Fragments nordiques

Image

Mon vieux prof de cinéma parlait de l’image originelle. Une image en soi persistante, obsédante -un rêve, une vision, un souvenir- comme point de départ d’une bonne histoire. Observe cette image! Questionne-là! Creuse-là! Décortique-là! Je n’ai jamais réussi à creuser aussi loin qu’il aurait voulu. Je comprenais ce qu’il voulait et j’avais ces images -que j’ai encore-, mais dès que je m’en approchais, elles restaient figées comme dans un bloc de glace. Mes histoires sont demeurées en périphérie, sans leur cœur, fragmentaires.

Solitude

Mon père avait équipé toute la famille en skis de fond. Mes skis étaient bruns, ceux de mon père gris. On étaient allés deux fois en faire tous ensemble à La Chaussée, au bout du p’tit onze de Ste-Eulalie. On s’ostinait à savoir quelle cire -la bleue, la rouge ou la verte- étendre sur nos skis (on est une famille d’ostineux). Je me souviens du cri de mes sœurs dans les descentes. Aaaaaaah!!! Moi, j’avais aimé ça. Des fois, le soir, mon père partait tout seul, hors piste, en plein champ dans la neige folle. Mon père est un solitaire. J’avais eu cette pensée. Une pensée trop grande pour le petit que j’étais encore.

Vent

J’ai roulé cette semaine, juste avant la neige. La piste cyclable suintait les gels des dernières nuits. Le ciel était grinçant, métallique, les arbres des squelettes noirs. Sur la 222, j’ai pris de face un vent glacial comme une série de reproches durs, mais honnêtes. J’ai grimpé ensuite, par le 11ième rang, jusqu’au chemin Malboeuf que j’ai dévalé, vent de dos, dans le déni le plus heureux.

Neige

Ils ont largué leur charge grise et mouillée

comme on abandonne un parachute.

Du ciel ils tombent comme des suicidés heureux

et vont mourir au sol sur leur frères libérés.

Novembre

La neige accumulée sur les ramures et les branches, au premier rayon, s’affaisse en masses lourdes et coupables. L’hiver a pris les devants et le regrette. Il a peut-être exagéré cette année. Quinze centimètres ont commencé à fondre. Vais-je aller skier un 3 novembre?

Nord

J’écoute des séries scandinaves. Je les recommande à ma blonde qui regarde du coin de l’oeil. Ç’a l’air gris tes affaires. C’est vrai. C’est froid. C’est blanc. C’est politique. J’aime ça. Le Nord m’attire. Le Nord comme un monde éloigné. Inconnu. Exotique. Pourtant, je suis du Nord. J’habite ses terres vastes et froides, au cœur même de mon propre éloignement.

Légendes

Au carrefour du chemin Malboeuf et de la montée Gagnon, en novembre, le vent est une injonction.  Sois vrai désormais!  Il n’y a plus rien plus haut, que le ciel crié par le vent. Plus rien à inventer. Pourtant, on dit de ces terres qu’elles sont parmi les plus hautes au Québec en tant que terres cultivées. On dit que par temps clair, on peut voir au loin les lumières de Montréal. Ce sont des légendes. Moi, je dis qu’ici, cette semaine, l’hiver au loin hurlait sa venue et que je suis le premier à l’avoir vu.

Identité

On étaient sortis du shack pour aller pisser à moins vingt-cinq. On étaient chauds. Chaudasses. Pas soûls. Une petite neige tombait dans le noir de la nuit. On est restés dans le frette, pas de mitaines, pas de tuque, le manteau détaché. On regardait les cristaux scintiller à la faveur du quartier de lune. On avait déjà vu ça. On n’étaient pas des touristes.

Norvège

Je me suis créé, depuis l’enfance, un pays norvégien.  J’imagine, au nord, de vastes terres glacées et désertes où régnèrent les Vikings et naquirent des mythes anciens. J’invente. Je vois des terres enneigées parsemés de collines boisées. Je vois un skieur, seul, entre deux collines. Un homme adulte. Il skie. Qui est-il?  Que veut-il?  Où va-t-il? 

Mon coeur se cache là-bas, dans l’antique Norvège.