Voici un texte hors-série, hors du temps… que j’ai écrit la semaine passée…
Hier, je suis allé à la Maison du cinéma. Un film français, l’histoire d’un homme bon et aimant qui perd graduellement la garde de son fils. Un film beau et déchirant. Après, je suis allé marcher dans la ville qui revêtait son beau manteau gris de novembre. Un manteau de pauvreté, d’errance et de folie. Sherbrooke est une ville d’automne, elle brille de tous ses feux en octobre, mais s’éteint, quand Noël approche, sous des cendres froides.
J’aime cette ville décimée en son centre, sereine et belle dans ses quartiers, reine dans sa région. J’aime cette ville que j’ai tant marchée, que j’ai tant habitée.
Sur Dufferin, j’ai croisé des mines sombres et encapuchonnés, d’autres inquiétantes, désinstitutionnalisées.
Sur Montréal, un homme s’est écroulé sur le trottoir devant moi, j’ai dû l’aider, le raccompagner. Il était désemparé.
J’ai repris ma marche, pris la rue High, la rue Island, mes vieux habits.
Je portais la beauté du film et la tristesse du temps.
***
Jeudi, j’ai un ami qui s’est donné la mort. Un ami d’enfance. Un gars de ma classe au primaire. On a joué aux accidents à la maternelle avec des petites autos en plastique mou. On a fait équipe en quatrième année pour confectionner des petits cahiers avec des compositions, des poèmes, des anagrammes. On a joué sur la même ligne au hockey peewee et bantam. On s’est perdus de vue à l’adolescence, mais on s’est retrouvé jeune adulte. Avec les autres, on a fait les 400 coups. Depuis 20 ans, je ne le voyais presque plus. Il ne voyait presque plus personne.
Nos mains tendues, depuis tout ce temps, il ne les a pas prises. Il n’était pas capable. Il souffrait. Il s’est tanné. J’imagine que ça devient insupportable quand ça n’arrête jamais. Il a décidé qu’il avait fait son temps.
J’imagine.
Quand je l’ai appris, je n’ai rien ressenti. J’ai figé. Je pense que je m’y attendais. Je me suis senti coupable d’être aussi froid. Ou de ne pas avoir tendu ma main une autre fois. Je me suis senti coupable de me sentir coupable. De penser à moi. On se serait mis d’accord là-dessus, lui et moi, et les autres, en riant, qu’au bout du compte, on pense toujours à soi.
C’était notre ironie.
***
Samedi, je me suis retrouvé dans la forêt. Je marchais sur le sentier dans un paysage décharné. Je pensais à lui. J’étais avec lui, avec son rire. Mario avait un grand rire rauque. Un rire qui nous invitait, qui nous enveloppait, qui nous accueillait. Il riait comme s’il s’abandonnait. Il laissait le son de son rire traîner, tout en penchant son corps sur le côté. On avait envie d’être avec lui. Il régnait dans ces temps-là. Et quand ça devenait plus intime, plus sérieux, il se râclait la gorge, il ne parlait plus.
J’ai entendu des petits cognements. Dans un arbre, juste au-dessus de ma tête, un pic-bois jouait du chasse-clou. Toc, toc, toc, toc, toc. Des petits copeaux tombaient. J’ai tendu mon gant, un copeau s’est déposé directement sur ma paume.
J’ai pensé : c’est un petit morceau de son rire.
Je l’ai laissé tomber.
J’entendrai toujours ce rire accueillant quand je passerai sur ce sentier. Et je passe souvent…

« J’ai tendu mon gant, un copeau s’est déposé directement sur ma paume.
J’ai pensé : c’est un petit morceau de son rire.
Je l’ai laissé tomber. »
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Non.
On ne peut malheureusement rien devant une canopée décimée.
Toute ma sollicitude.
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Toujours un geste triste. Mais combien clair et sans équivoque: mettre fin à la souffrance.
Ma sympathie va à celles et ceux qui ont soutenu, tendu la main et qui maintenant doivent accepter.
Donc à toi.
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