
J’ai arrêté d’écrire l’année dernière.
Mais j’ai continué de rouler, de marcher, de skier, de parcourir du territoire, d’avaler du paysage; j’ai même augmenté mon kilométrage. Arrêter d’écrire, c’est comme un nuage blanc qui s’installe. Sans pluie. Ça rend marabout. On pourrait tout lâcher. Le vélo, le ski, la marche, le bébé pis l’eau. Toute! J’ai rien jeté de ça, ç’a même pas passé proche.
Il écrit pour rouler, il ski pour écrire, il marche pour créer…
Pentoute! Y’a rien qui vient avant. Ni le sens, ni l’essence. Ni la poule, ni l’œuf. Ni de va, ni de vient. Aucune précédence.
Y’a juste la nature. Comme un père. Un père, là, dans la forêt. Un père dans le chemin. Un père dans le nuage au-dessus de la ligne des arbres. Un père lové exactement dans la première courbe de la piste cyclable. Un père, sans mère. Un père suffisant.
Pas besoin d’écrire.
***
Ma mère est venue vivre près de chez moi. Le logement du coin, au deuxième étage. Son balcon me chatouille l’œil quand je passe à vélo sur la rue de l’église. Je vais me bercer chez elle presqu’à chaque jour, une demi-heure trois quart d’heure. On parle. Ça tourne toujours autour des mêmes affaires, on s’en accommode sans problème. Sur son balcon, quand on y va, si je me penche, je peux voir l’école. Je pourrais même entendre les cris des enfants. Mais je ne les entends pas, parce c’est moi le professeur. Je m’en vais les rejoindre pour les faire sortir. J’espère que ma mère va pouvoir les entendre.
***
La forêt était tout trempe tantôt. Sombre et trempe. Profonde. Je m’y suis vu y pénétrant, sorti du sentier, m’y enfoncer, jusqu’au milieu et, pour une minute, me coucher en petite boule sur son sol mouillé. Le faire. Pour une fois le faire. Fantasme d’enfance. Dans l’auto, sur le siège arrière. L’hiver, le soir. Regarder les champs de neige, noirs, la forêt, noire, au fond. Imaginer être au milieu, en petite boule, seul, dans le froid. Les laisser aller, mon père et ma mère. Être seul en boule au milieu de la forêt l’hiver. Sans inquiéter personne.
Oublié.
Je ne l’ai pas fait bien sûr, mais pour la première fois depuis des mois, j’ai eu envie d’écrire.
***
C’est ma dernière année auprès des enfants. Je prends ma retraite après 38 ans. J’ai commencé à 19 ans avec les tout petits. Depuis longtemps, je cherche une façon d’écrire sur cette vie auprès des enfants. Ça ne veut pas accoucher. Je sens que ça pousse, mais ça ne veut pas sortir. Ça prend du temps. Je retiens quelque chose, mais ça prend trop de temps. C’est peut-être rien. Une idée fantôme. Une histoire vide.
Ou bien quelque chose de trop bien roulé en moi.
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Le soir était plein des averses du jour. De toutes ces averses quotidiennes d’août. Je me suis arrêté dans la courbe de la piste cyclable avec mon père enroulé dans le paysage. Un dernier gros nuage sombre s’est amené, et la pluie, comme un message, s’est abattue.
Va, mon fils. Va écrire ce soir.
