Chronique du 27 juillet: Racines, roches et terre nue

Politique.  24 juin 2021.  Extérieur.  Soir.  Sixième match des demi-finales entre Las Vegas et Montréal.  3 à 2, les Canadiens mènent la série.  Une victoire est une place pour la grande finale de la coupe Stanley.  Le peuple, en petits groupes, est rassemblé devant sa télé sur les balcons et les gazons (les visites dans les maisons sont interdites).  C’est la prolongation.  Le peuple veut y croire, mais n’y croit pas, trop habitué à la défaite.  Le peuple est crispé à cause du hockey, mais aussi pour toutes sortes de raisons.  La lune est pleine, y’a des lucioles, le soir est doux.  La prolongation commence.  Les Chevaliers dorés menacent en partant.  Le peuple est prêt à plier sa chaise.  À plier l’échine.  Encore.  Price fait l’arrêt avec son épaule.  Contre-attaque des Canadiens.  Gallagher passe à Danault qui refile à Lehkonen qui marque…  Le temps s’arrête.  Le peuple reste figé, incrédule.  Puis les cris fusent, les feux s’allument.  Le peuple fête comme si c’était un Grand Soir.  Une Victoire… 

Par défaut.

Guerre.  Ma famille a été attaquée par des guêpes.  Brûlure.   Enflure.  Défiguration.  J’ai dû réagir.  Et vite.  Localisation du nid.  Achat de produit chimique.  Organisation du commando.  Deux stratégies sont envisagées : attaque furtive de nuit par le flanc gauche, en rampant sous la galerie dans les crottes de chats avec le risque d’être piégé sous le feu ennemi ou attaque directe par le flanc droit en soulevant simplement le treillis amovible, mais en écrasant le gros bouquet de rhododendron, euh…non, d’hémérocalles, euh…non, d’hortensias (toujours eu de la misère avec le nom des fleurs).  Le choix est facile : on sauve les fleurs de la famille, je prendrai le chemin le plus dangereux, le moins fréquenté, le plus héroïque.  Pas de gloire sans péril.  La nuit venue, j’enfile mon uniforme : vieux linge strappé au duct-tape, lunettes de plongée, lampe frontale et me poste, bombonne à la main, au bout éloigné de la galerie, prêt au combat.  Je jette un -dernier- regard à la fenêtre où, de son seul œil ouvert, la famille semble m’encourager.  Ou est-ce de la pitié?  Peut-être de l’indulgence?  Je prends une grande respiration, monte sur la galerie, frôle le mur jusqu’à la fenêtre, risque un regard oblique, prends ma voix la plus prudente, un doux chuchotement : Y tiens-tu tant que ça à tes campanules?

Norvégien.  Je ne me suis pas remis au tricot cet été, mais c’est tout comme.  Je lis l’autobiographie de Karl Ove Knausgaard, le Norvégien.  Ma mère m’avait montré à tricoter, j’avais créé un genre de foulard de poupée tout croche.  Un intérêt passager de petit gars de 10 ans, comme le gossage de morceaux de bois, la pyrogravure ou l’attelage des chèvres pour des tours de barouette.  N’empêche, j’avais compris le plaisir du tricot.  Répétitif, pas compliqué, ennuyant, mais on y retourne.  Karl Ove, c’est pareil.  C’est juste ça.  Sa vie.  Des retours en arrière, des passages vers l’avant.  Des détails, la couleur du ciel ce jour-là, un homme barbu qui traverse la rue, sa fille qui tend le bras pour toucher des feuilles.  C’est petit, mais grand aussi.  Une grandeur cachée dans l’état de faire.  Dans le fait d’écrire.  Simplement.  C’est mystérieux.  C’est de l’écriture. 

Mountain bike.  On va aller dans des pistes faciles, mon chum va te prêter son vélo, tu vas aimer ça, c’est sûr!  Claude m’en parlait depuis des années.  Je ne sais pas trop à quoi je résistais.  Une sorte de loyauté envers la route, l’idée noble du passage, de l’avancée, de la création.  Comme si la terre nue, les roches et les racines ne s’accordaient plus au fait d’écrire, d’allonger le geste, la pensée, la ligne…  Aucun rapport : ça n’a tout simplement pas adonné.  Et je savais que j’allais aimer ça.  Mais à ce point?  Je les ai trouvées difficiles, les pistes, mais crisse que c’est l’fun!  C’est du sport!  T’es là, agrippé à l’instant, en pleine vigilance, concentré.  Le corps, l’esprit, l’âme.  Mobilisé! Absorbé!  Accrochée!  T’es en vie.  C’est pas plus compliqué que ça.

Olympiques.   Personne dans les estrades.  Je n’arrive pas à intégrer cette affaire-là.  Le sens est lié aux origines.  Une part de la réalité est primitive.  Sans son commencement, une chose n’est pas, n’existe pas.  Les choses humaines, depuis la nuit des temps, sont faites pour et par de vraies personnes.  La télé et internet sont une vitrine.  Ce n’est pas la réalité.  Au fond, on le sait ça.  Ce qui est réel existe par l’autre, à travers l’autre, qui est là, tangible.  Si ce n’est pas ça, je ne comprends pas.  Il y a quelque chose que je ne comprends pas cette année.  Une incompréhension réelle.  De moi à moi.  Sans désir véritable d’explications.  Une sorte de mauvaise foi seule, sans personne.   Tout seul avec sa mauvaise foi.  J’essaie d’écrire comme Marguerite Duras.  C’est puéril.  Juvénile.  Ça me fait rire.  Un rire seul.  Parce que les autres ne sont plus là.  Les olympiques, cette année, c’est comme ce texte.  Absurde.

Livre.   Je vais faire un livre cet automne.  C’est sérieux.  C’est une annonce.  Je vais publier un recueil de mes textes de cette année.  Je vais faire un lancement dans la piste cyclable si possible.  Je vais inviter des gens, mettre de la musique, dire des choses, préparer du punch peut-être.  Espérons du beau temps.  J’aimerais ça que ça danse.  C’est à cause de mon père.  Il ne l’aura pas su, mais il me donne la légitimité de faire ça.  Il rendait mon écriture réelle, mon père.  Il a déjà dit : toi tu écris.  On avait fait un voyage en Gaspésie, j’écrivais le soir.  Il avait dit : toi, tu écris.  C’était dit sans emphase, simplement.  Il n’y a pas grand monde qui m’a dit ça, comme ça.  Je l’imagine ces jours-ci sur un nuage, mon père, comme Dieu.  Il me regarde et il me comprend, il me comprend plus que je me comprends moi-même.

Pour finir, il faut que je dise que j’ai demandé de l’aide pour faire mon livre.  J’ai eu l’aide des municipalités de Racine et de Maricourt que je remercie ici (et que je remercierai plus tard aussi, au moment opportun), J’ai aussi eu la participation de ma députée du Bloc Québécois, un parti qui croit encore à la Victoire…  Bravo et merci Madame la députée, sincèrement. J’apprécie votre participation à mon désir -aussi fragile soit-il- de faire entendre ma voix, de parler du pays. De nous.   J’ai presque envie de mettre, ici, votre photo ;-). Je vous donnerai des nouvelles.  Bon été!