Temps gris. Pluie froide. Novembre. La flore se rétracte, la faune se cache. La nature plie l’échine, elle rend les armes. Elle accepte son sort et nous l’impose : voyez, gens de bonne fortune : je suis en train de mourir!
J’aime novembre. J’aime ce pied de nez du temps. Tout n’ira pas toujours bien. Tout ne progressera pas à l’infini. Novembre revient toujours nous faire la bonne blague : c’t’une fois un gars, y voulait, y essayait, y espérait, pouf! à la fin, il meurt. Moi, ça peut me fait rire.
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On a des souris. On a vu des crottes dans le tiroir à ustensiles. J’ai acheté des trappes. J’en ai mis une dans le tiroir. J’étais en train de taponner le paragraphe d’en haut quand j’ai entendu la trappe claquer, clac! J’ai entendu des petits bruits ensuite, qui n’ont pas duré longtemps… J’ai trouvé ça un peu chien de ma part. J’ai trouvé ça triste. Sans farce.
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Plus jeune, l’écriture, j’appelais ça mon dark side. Ce n’est pas tant que j’écrivais des affaires sombres ou morbides, c’est que mon moteur était nourri par une sorte de lucidité tragique. Pour moi -un côté de moi- savoir que les choses -toutes choses- naissent, grandissent et meurent, en boucle, toujours, inéluctablement, ça m’allume. C’est une spirale qui crée de l’ombre parfois, qui peut tirer vers le bas, mais qui m’inspire plus qu’elle m’aspire. J’appelle ça un dark side, mais c’est un dark side gentil. Je ne sais pas trop comment l’expliquer.
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À l’époque, j’avais résisté à écrire l’épisode du poussin dans la classe. Je me disais que ça ferait un beau morceau d’écriture, mais c’était trop facile, trop droit, trop consensuel. Tout le monde aime ça les histoires d’enfants. Ça ne fitait pas dans ma spirale. Mon moteur ne prenait pas de ce gaz-là. Pourtant, c’était plein d’ombre cette affaire. Plein de peur, plein de détresse…
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J’ai entrouvert le tiroir à ustensiles. La trappe avait dû pirouetter et revenir à l’endroit. Le ressort lui avait cassé le coup direct. La queue serpentait sur le fond blanc du tiroir. Ses deux petites billes noires et luisantes me fixaient comme deux étoiles dans l’espace infinie. J’ai peur des souris, je l’avoue. J’ai pris des gants pour la décrocher, suis sorti sur la galerie, je l’ai pitchée dans le bois. J’ai recrinqué et remis la trappe dans le tiroir.
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On avait fait éclore sept beaux duveteux petits poussins jaunes dans notre couvoir artisanal. Le spectacle de leur éclosion avait été émouvant pour les enfants, on était tous fortement attachés.
J’avais eu l’idée quelques jours plus tard de fabriquer avec les élèves un labyrinthe en blocs de bois. On avait éparpillé les poussins dedans. On avait pris soin d’élargir le labyrinthe à un endroit qui formait une grande « pièce ». Toute la famille de poussins, à tâtons, s’était finalement retrouvée réunie à cet endroit, sauf un.
Un égaré, loin des siens, piaillait fort de tous ses petits poumons de poussin. Les six frères et sœurs, agités par l’inquiétude, faisaient de même, appelant le frangin désespéré. Ce dernier parcourait ce dédale complétement déboussolé. Les enfants et moi, assis tout autour, étions témoins d’un spectacle d’une haute intensité. On criait : aller, aller petit poussin! Et lorsqu’il tourna le coin, retrouvant sa famille, la classe explosa de joie. On en avait des larmes aux yeux, tous ensemble. Quel magnifique souvenir!
Je l’ai enfin écrit.
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Ça vient de reclaquer dans le tiroir. La trappe est à l’envers. Cette fois le rabat lui a brisé le dos. Je ne vois pas ses yeux, je la prends par la queue avec mes gants. Je mets mes bottes. Je me rends au bord du bois. Je retrouve la souris de tantôt sur une grosse feuille de fougère. Tout est spongieux et affaissé autour de moi. La feuille bouge au vent doucement. Je pose délicatement l’autre souris à côté de la première. Le vent les berce un peu.
Dormez bien petites sœurs.